Il y a quelque chose de presque surréaliste à voir un géant de l’ultra-fast‐fashion s’installer physiquement dans un temple historique du commerce parisien comme le Bazar de l'Hôtel de ville (BHV).
Et pourtant. Dix mille visiteurs dès l’ouverture, plusieurs heures d’attente, ruptures de stock, et une fréquentation record. Côté business, sur la 1ere semaine, le pari semble réussi. +50 % de trafic et un magasin déjà au-dessus de ses objectifs après cinq jours.
Mais au-delà des chiffres, cette opération m’interroge: que dit cette stratégie de notre rapport à la mode, à la consommation et aux inégalités ?
Le constat pragmatique: « Moi, je veux un truc pas cher »
Shein ne s’est pas implanté au BHV par hasard. En période d’inflation, le pouvoir d’achat s’effrite, et la marque chinoise joue sur une corde très “humaine”: le droit à se faire plaisir, même quand on n’en a pas les moyens.
Des vêtements accessibles, tendances, et disponibles en très grandes et très petites tailles. Rares sont les marques à proposer des articles pour toutes les morphologies. On a donc un Shein qui se montre compétitif avec une offre inclusive qui attire ceux qui se sentent délaissés par des enseignes qui arrivent difficilement à s’aligner sur ce créneau .
En parallèle, le BHV, cherche à se réinventer.
Face à la concurrence, il veut redevenir le “grand bazar” du peuple, un lieu où toutes les classes sociales se croisent.
Sur le papier c’est beau !
D’un point de vue purement économique, le “mariage” Shein x BHV coche toutes les cases. Dynamisme, inclusivité, fréquentation, emplois créés. Woaw ! TROP FORT SHEIN !
Mais “bon marché i coute cher” dan bazar
Derrière le succès immédiat se cachent des enjeux éthiques et environnementaux considérables. Je le sais, tu le sais, ils le savent même s' ils font semblant de ne pas le savoir dans la file d’attente.
Le modèle ultra-rapide de Shein repose sur une production massive, à bas coût, à fort impact carbone, et sur une opacité quasi totale quant aux conditions de fabrication.
Et ici, le paradoxe c’est que le BHV a acheté les collections et assuré le sourcing, engageant ainsi sa propre éthique. Résultat, les prix sont plus élevés, les collections sont plus classiques, moins de “folie Shein”, moins d’inclusivité aussi. Des prix plus élevés que sur leur site. De quoi décevoir les adeptes une fois l'euphorie passée.
Adieu la fast fashion décomplexée. J’ai envie de dire: “que reste t’il ?”
Les victimes s’affrontent.
Les premières heures on déclenchés une (courte) guerre. Les PROSHEIN et les ANTISHEIN.
Pourtant on ne peut pas blâmer les consommateurs. Même si c’est tentant quand on entend le discours de certains d'entre eux. On va faire comme eux et mettre des œillères un instant.
Acheter moins cher est souvent une question de survie et cette réalité me pousse à repenser la question autrement: pourquoi le vêtement “éthique” (comme l’alimentation saine) est-il réservé à ceux qui peuvent se le permettre ?
Et d’ailleurs, est-ce que c’est vraiment le cas ?
ou est-ce ce que les enseignes d’ultra fast fashion veulent nous faire croire ?
Shein, Temu, ou d’autres jouent sur une idée simple: “vous n’avez pas à réfléchir, on vous facilite la vie.”
Un clic, un panier, un plaisir instantané. Et dans un contexte d’urgence économique, qui aurait le luxe de dire non ? (Moi mais c’est pas le sujet…syndrome du personnage principal bonjour)
Mais voilà, ce discours nous prive d’une chose essentielle.
La réflexion.
Quand on a moins, on nous pousse à consommer plus vite comme si le fait d’acheter souvent compensait le fait d’acheter mieux. Et puis le neuf fait propre. Tout bêtement.
Mais si on y pense vraiment, quand on n’a pas les moyens. Pour de vrai. On n’a pas le “besoin d’acheter”.
Et ce n’est pas grave. C’est même une forme de liberté. On se concentre sur l’essentiel.
Mais on est humain. OK ! On aime et on doit savoir se faire plaisir. Personne ne pourra nous en priver.
Mais attention, se faire plaisir c’est aussi se respecter.
Pour ça, selon moi, il faut redonner du sens à ce plaisir.
Revoir ce que “plaisir d’achat” veut dire.
Privilégier la qualité, pour soi.
Choisir une pièce qu’on chérit, qui dure, qui nous ressemble, qui raconte quelque chose de nous. Économiser pour l’avoir même. C’est plus long pour y arriver. Et alors ?
Au fond, le vrai luxe, c’est d’aimer ce qu’on garde…longtemps. Comme l’amour…Oups, je m'égare.
La course à la tendance, le besoin de nouveauté, la mode jetable, tout ça, c’est l’illusion du kiff et de l’appartenance.
La mode, ce n’est pas le vêtement. C’est ce qu’on en fait.
C’est la manière dont on se l’approprie, dont on le fait vivre, dont on le fait durer, dont on le fait passer les époques.
Et c’est peut-être là que tout commence. En se détachant du réflexe d’achat compulsif que l’ont fait même pas pour soi mais pour le regard de l’autre.
À court terme, Shein répond à un “besoin” concret: s’habiller sans se ruiner.
À long terme, cette solution entretient un système où l’humain, la planète et même le goût du durable s’effacent complètement derrière le prix.
Des alternatives possibles sans se ruiner.
Face à Shein et à toute la mécanique bien huilée de la fast fashion, on pourrait se dire qu’il n’y a pas d’alternative.
Que forcément il faut acheter uniquement des jeans MADE IN FRANCE à 139€
Et pourtant, des solutions, il en existe plein.
Je vois sur les réseaux que les PRO SHEIN demandent si les opposants ont des marques alternatives à proposer au lieux de juste crier “BOUUUUH SHEIN C’EST NUL”
Mais les solutions demandent surtout de changer de rythme, pas seulement de marque.
D’abord, il y a la seconde main, sous toutes ses formes: friperies locales, vide-dressings, applications ou ressourceries. À La Réunion, de plus en plus d’initiatives émergent pour donner une seconde vie aux vêtements.
Les pièces y sont déjà là, prêtes à être portées à nouveau. C’est souvent moins cher, plus responsable, et surtout plus original. Comble du comble, on peut même parfois y trouver du Shein.
Ensuite, il y a l’upcycling, cette manière de transformer l’existant plutôt que de produire encore. C’est l’axe qu’Odyssée défend. Faire du neuf avec du vécu. C’est une réponse simple, locale, artisanale, mais aussi profondément politique: prendre soin de ce qu’on a déjà, c’est refuser le gaspillage.
Alors, oui, pour le consommateur il faut déjà un porte monnaie plus conséquent. C’est sûr. Ou juste économiser un peu et se rendre compte de la valeur des choses.
Et puis, il y a la consommation raisonnée.
Pas besoin d’acheter chaque mois pour exister.
Acheter moins, mais mieux. Réparer. Adapter. Transformer. Louer.
Apprendre à faire durer ses vêtements, à aimer leurs imperfections, (une petite tache c’est pas grave) à valoriser les mains qui les ont créés. Surtout !
Les grandes enseignes aiment dire qu’elles “démocratisent la mode”.
Mais ce qu’elles démocratisent, c’est surtout la dépendance à la nouveauté.
La vraie démocratisation, ce serait de rendre l’éthique, le durable et le beau accessibles à tous, sans injonction, sans culpabilité, mais avec du sens.
Chez Odyssée, on ne prétend pas sauver le monde.
On essaie juste de le réparer un peu, un fil après l’autre.
Parce qu’ici, sur une île où tout arrive de loin, donner une seconde vie à nos textiles, c’est aussi une manière de reprendre notre autonomie.
D’ailleurs à La Réunion, vous l’avez remarqué, vous, la fast fashion ?
Sous quelles grandes enseignes de l'île se cache t’elle ?